Histoire
SCEAUX ET MONNAIES DE LA SEIGNEURIE
de JAMETZ
(Meuse)
Jametz (1) était autrefois le chef lieu d'une souveraineté enclavée tout entière dans le Verdunois. Ses premiers possesseurs furent les comtes d'Ardenne. En 1076, Godefroid le Bossu donna Jametz à l'église de Verdun et plus tard les évêques la cédèrent en fief à des seigneurs particuliers qui prirent le nom de leur terre.
Nous ne suivrons la chronologie des sires de Jametz qu'à partir de l'époque où le fief passa par alliance dans la maison de La Marck. Le 22 juin 1449, Jeanne, fille de Jean II du Saulcy et de Jeanne de Lenoncourt, héritière de Jametz, épousa Robert de La Marck, fils de Jean I de La Marck Aremberg et d'Agnès de Virnembourg. Ce Robert eut dans l'histoire des localités meusiennes un rôle assez accidenté. En 1483, après la prise de Bouillon sur les évêques de Liège, il prit le titre de duc, que lui confirma le roi Charles VIII trois ans plus tard. En 1489, il périt dans les rangs de l'armée française sous les murs d'Ivoi Carignan.
De son mariage avec la dame de Jametz, Robert I de La Marck laissa plusieurs enfants. Son second fils, Everard, fut appelé à lui succéder dans la seigneurie ; mais en 1491, celui ci se désista de ses droits en faveur de sa belle sœur Catherine de Croy lorsqu'elle épousa son frère aîné, Robert II.
Robert II de La Marck (1491 1536)est dépeint par les historiens du pays comme un prince sanguinaire, ne rêvant que guerre, sac et pillage. Sa devise révèle du reste un homme sans scrupules, auquel tous les moyens sont bons, s'ils conduisent à la fortune : " Si Dieu ne me veult ayder, le diable ne me sauroit manquer. " Nous n'avons pas à nous occuper ici des épisodes de son existence agitée. Ce qu'il nous importe de savoir, c'est qu'il eut plusieurs héritiers et que dès son vivant, il accorda à son puîné, Guillaume, le titre de sire de Jametz avec le droit de lui succéder dans cette terre.
C'est à ce Guillaume qu'appartiennent le sceau et le contre sceau (fig. 1 et 1 bis). Nous en devons les empreintes, prises sur l'original trouvé il y a quelque temps dans le pays de Liége, à l'amabilité de M. van den Berg, membre de l'Institut archéologique liégeois (2). Le sceau est d'une gravure remarquable. L'écu de l'illustre maison de La Marck d'or à la fasce échiquetée d'argent et de gueules, brisé d'un lion issant de gueules en chef, s'y montre penché à l'antique soutenu par deux lions et timbré d'un heaume cimé de deux cornes de taureau et richement lambrequiné. La légende est : GVILLE. DE. LA. MARCHE Sr. DE. JAMAIS, en minuscules gothiques. Sur le contre sceau les mêmes armoiries sont reproduites attachées par un cordon élégamment noué.
Fig.1 Fig.1 bis
Guillaume de La Marck mourut sans enfants dans les premiers jours de 1529. Son père, Robert II, vivait encore. Par acte du 16 février de cette année, il règle sa succession. Son aîné, Robert III, serait duc de Bouillon et prince de Sedan, son troisième fils, Jean, obtiendrait la terre de Jametz. Un contemporain nous apprend que cette seigneurie devait faire retour à la branche aînée s'il arrivait que Jean "allast de vie à trépas, sans hoir ou hoirs mâles procrées de son corps en loyal mariage. "
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Robert II décéda en 1536. Jean lui succéda dans ses ville, château, prévôté de Jametz et dans les différents fiefs qui en relevaient. Il gouverna la seigneurie jusqu'en 1560. Son règne fut un règne de paix. Jean de La Marck habita Jametz presque sans interruption, mettant tout son zèle à étendre la prospérité du bourg. En 1557, la localité avait pris l'aspect d'une petite ville ; elle était ceinte de murailles, et renfermait cent cinquante huit chefs de famille sans compter la noblesse, le clergé, la magistrature et les officiers nécessaires à toute juridiction seigneuriale.
S'appuyant sans doute de l'autorité de son frère, Robert III, le puissant duc de Bouillon, Jean de La Marck s'attribua à Jametz le droit de monnayage.
Les monnaies que nous classons pour la première fois à Jean de La Marck, seigneur de Jametz, sont connues depuis assez longtemps mais jusqu'ici elles ont reçu une attribution erronée. De Renesse (3) qui en publia une, la rangea parmi celles de Jean le Postulé, évêque élu de Liége (1482 1484) dont cependant elles diffèrent par l'absence du titre de postulatus leodiensis. Perreau (4) épousa l'erreur de son devancier sans se douter plus que lui de l'anachronisme que cette attribution lui faisait commettre (5). Et, en effet, les monnaies du sire de Jametz (1536 1560) sont imitées de pièces semblables battues à Liége par l'évêque Erard de La Marck (1506 1538) (6) ; en Gueldre, par le duc Charles d'Egmont de 1492 à 1538 ; comment dès lors songer un instant à un prince qui gouvernait de 1482 à 1484 ? Cette juxtaposition de dates suffira pour invalider la conjecture toute gratuite de de Renesse.
Notre attribution au sire de Jametz est, au contraire, parfaitement justifiée sous le rapport de la chronologie ; de plus les monnaies portent cette indication épigraphique : IAM qui les localise d'une manière indubitable. A l'époque où De Renesse écrivit son livre, les lettres I. A. M. furent prises pour les initiales de Johannes a Marka Cette explication n'est peut être pas à rejeter. Nous serions assez disposé à voir dans le : IAM, une sorte de charade donnant à la fois le nom du seigneur, celui de sa terre et une devise : JAM ! déjà ! tout à fait dans l'esprit du temps. Mais que IAM soit avant tout une indication géographique résulte de ce fait que partout où le type du snaphaen (7) fut employé nous trouvons également à l'exergue le nom de la terre. C'est ainsi que les pièces du duc de Gueldre, Charles d'Egmont, portent : °GEL° ou °GELR°. celles du seigneur de s' Heerenberg, dominus montensis, Guillaume III (1506 1511, ont : °MON° (8). Nous pourrions multiplier ces exemples.
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Passons maintenant à la description des variétés numismatiques de Jametz que nous avons rencontrées :
1). Snaphaen. NO CVRRET ° S ° ZVOLET ° S ° DEI °. Cavalier à droite brandissant son épée ; à l'exergue: IA M. Rev. : MON NO ARG. DNI IOAN. A MARKA. Ecu de la Marck surmonté d'une couronne ; il est placé sur une croix aux branches très feuillues et terminées en pomme de pin.
Voyez fig. 2. Gravé dans de Renesse pl. XVII, n° 4. Collection de feu M. Piat, à Roubaix.
Fig.2
2). Snaphaen. Variété avec: NO CVRRET ° S ° VOLETI S ° DEI °.
Collection de M. le vicomte B. de Jonghe à Bruxelles.
3). Snaphaen. D'après un renseignement que nous devons à M. C. A. Serrure, il existerait un exemplaire de cette monnaie portant à l'exergue : IAME. Nous n'avons pas vu cette pièce qui confirmerait en tous points notre attribution et M. C. A. Serrure n'a pu se rappeler où il l'a rencontrée.
4). Demi snaphaen. NO CVRREN ° SZ ° VOLEN ° DEI. Cavalier à droite brandissant son épée ; à l'exergue : ° IAM °. Rev. : MON ° NO ARG ° DNI IOAN ° A MARKA. Ecu de La Marck surmonté d'une couronne à cinq perles ; il est placé sur une croix pattée qui coupe la légende. Voyez fig. 3.
Cette monnaie nous a été communiquée par M. Grandjean, bibliothécaire de l'Université de Liége, qui nous a autorisé avec une complaisance parfaite de prendre les empreintes de toutes les monnaies inconnues de son intéressant dépôt.
Fig. 3
5). Demi snaphaen. Variété avec : NO CVRRENTIS ° SZ ° VO L. ET ° D °.
Cette variété, signalée par Perreau, nous est connue par un exemplaire splendide de la collection numismatique du Petit Séminaire de Saint Trond. Lors d'une récente excursion en Belgique, nous avons pu voir en détail ce médaillier confié aux soins de M. l'abbé Spée. Malheureusement, le règlement épiscopal interdit au conservateur la communication de dessins ou d'empreintes. Cette mesure que rien ne justifie et dont l'unique but est de contrarier les travailleurs, nous empêche de donner le dessin du demi snaphaen ci dessus décrit. D'après les dires de M. l'abbé Spée, l'interdiction daterait de l'exposition archéologique de Liège. Les organisateurs de cette exhibition auraient nettoyé les pièces qui leur étaient confiées par le séminaire en employant des procédés d'une nature peu artistique. Cette allégation est démentie de la manière la plus catégorique par MM. Terme et Alexandre. Ces messieurs se sont occupé, avec le plus grand désintéressement, du classement de l'exposition, mais nous ont assuré n'avoir ni nettoyé ni frotté aucune des pièces de la collection épiscopale. La vénérable poussière qui couvrait la plupart des pièces du médaillier lorsque nous avons été admis à le visiter prouve à l'évidence la vérité des affirmations de nos confrères liégeois.
6) Demi-snaphaen. Variété : NO CVRREN ° SZ ° VOLN DEI.
Cette variété est publiée par Grote et gravée dans ses Blätter für Münzkunde de 1836, t. II, pl. XIX, fig. 280.
La série des féodales de Jametz se borne jusqu'ici aux variétés que nous venons de décrire. On pourrait supposer, en l'absence complète de monuments ultérieurs, que la tentative de monnayage local de Jean de La Mark resta unique ; toutefois il est difficile de rien conclure à cet égard. Chaque jour des monnaies inconnues sortent de terre et il y a tant de pièces non retrouvées, dont la frappe est révélée par les archives, qu'il doit y en avoir un nombre bien plus grand encore dont nous ignorons absolument l'existence.
Quelques jours avant sa mort, le 3 juin 1560, Jean de La Marck, dont nous venons d'étudier le monnayage, institua comme son unique héritier, Henri Robert de La Marck, duc de Bouillon et prince de Sedan. Fils de Robert IV, le nouveau seigneur de Jametz se signala en réorganisant la justice et en augmentant les fortifications de la ville.
Henri Robert était le défenseur résolu de la cause protestante. Ses Etats servirent de refuge habituel aux proscrits venus des différentes parties de la France ; aussi, sous son règne, Jametz accrut elle encore sa population.
Ce prince mourut le 2 décembre 1574, empoisonné, dit on, par Catherine de Médicis. De son mariage avec Françoise de Bourbon étaient nés deux fils et une fille. Ce fut cette dernière, Charlotte de La Marck, qui devint dame de Jametz. Son règne appartient à la numismatique par les monnaies obsidionales que le gouverneur de Jametz battit lorsque la ville fut assiégée par le duc de Lorraine.
Au mois d'août 1587, les huguenots d'Allemagne amenèrent au secours d'Henri de Navarre une armée de 3.000 hommes, à laquelle vinrent se joindre les troupes du duc de Bouillon, Guillaume-Robert de La Marck prit le commandement suprême. On traversa la Lorraine en y laissant de nombreuses traces de dévastation. Mais bientôt des revers atteignirent la marche des protestants, qui reprirent la route du Rhin.
Le duc Charles III résolut d'enlever les places relevant du duché de Bouillon pour punir leur seigneur d'avoir conduite une armée d'hérétiques à travers la Lorraine. En conséquence, le baron d'Haussonville à la tête de 3.000 fantassins et de 800 chevaux, investit Jametz en décembre 1587. La place était commandée par Schelanger. Ce brave capitaine soutint le siège avec un courage, une énergie incroyables. Lorsque la résistance fut devenue impossible, il consentit le 29 décembre 1588 à la reddition de la petite ville, se retirant dans le château avec la poignée de braves qui n'avaient pas succombé pendant l'investissement. Schelanger se maintint dans sa citadelle jusqu'au jour où tout espoir de secours se fut évanoui. Le 24 juillet 1589 il signa enfin la capitulation, capitulation honorable, car la petite troupe d'héroïques défenseurs put se retirer en tenant haut et ferme le drapeau de la liberté de conscience.
Pendant l'investissement, Schelanger fit battre des obsidionales en cuivre et en étain (9). La pièce en étain n'a pas été retrouvée ; mais on en connaît le dessin par Duby :
1). Entre deux grènetis : IAMETZ. Monogramme formé des lettres C. D. L. M. 1588. Rev. : Deux tours, monogramme, 1588 et le chiffre V.
Les monnaies de cuivre sont connues ; il y en eut de deux espèces, l'une valant dix, l'autre vingt sols :
2). CHARLOTTE DE LA MARCK. Écu losangé aux armes de La Marck, timbré d'un couronne. Rev. : Légende en quatre lignes : IAMETZ ASSIÉGÉE XX 1588.
3). Même type. Rev. : IAMETZ ASSIÉGÉE 1588. Deux tours crénelées, entre elles petit portrait ; l'indication X.
Le siège et l'annexion à la Lorraine furent pour Jametz le signal d'une ruine complète. La ville avait cruellement souffert du feu des assiégeants, les remparts furent détruits, la citadelle démantelée ; les édits de Charles III proscrivirent tous ceux qui n'adjurèrent pas le culte réformé.
Au lieu de se repeupler, la malheureuse localité se vida pendant tout le XVIIe siècle. En 1636, nous y trouvons vingt six chefs de famille, et quatre ans plus tard, ce chiffre déjà si restreint, descend à huit !
Il est vrai de dire que le régime auxquels les habitants furent soumis pendant la domination lorraine, n'avait rien de très réjouissant. I1 y eut toujours à Jametz un vieux levain de protestantisme, que les autorités civiles et religieuses tentèrent en vain d'étouffer. Plusieurs faits relatés dans des documents d'archives, dont M. Buvignier a fait le dépouillement, témoignent d'une intolérance stupide. C'est ainsi que nous assistons à la condamnation à l'amende d'un hôtelier "pour advoir administré de la chair un jour deffendu par nostre Sainte Eglise." Ailleurs on condamne à la prison et à l'amende un nommé Denis " pour avoir porté irrévérence au Saint Sacrement n'ayant osté, par guet à pan, son chappeau pardevant luy. " Rien d'étonnant à ce que les Gemmaciens se refusassent à subir la justice des ducs de Lorraine !
En 1641 Jametz passa à la France par le traité de Paris, confirmé en 1659, par la Paix des Pyrénées. Aujourd'hui, la bourgade s'est un peu repeuplée. Elle forme un commune de 8oo habitants, située dans l'arrondissement de Montmédy.
R.SERRURE.
(Mise en forme texte et images S. Sombart)
1 M. F. LIENARD dans son Dictionnaire topographique du département de la Meuse, Paris, 1872, dresse la liste des différentes formes que prend le nom de Jametz dans les documents anciens. Voici les variantes les plus caractéristiques : Gemmatium 1076, Gemmacum 1086, allodium de Jamars XIe siècle, Jamais 1162, Jametz 1568, etc.
On peut lire sur l'histoire de Jametz le travail de M. CH. BUVIGNIER : Jametz et ses seigneurs, Verdun, 1861, gr. in 8°. On trouve également d'utiles indications dans l'Histoire du pays et de la ville de Sedan de M. l'abbé PREGNON, Charleville, t. I, 1856. Le Manuel de la Meuse, histoire de Montmédy et des localités meusiennes de l'ancien comté de Chiny par M. JEANTIN, Nancy, 1862, in 8°, t. II, p. 925 et suiv., ne pourra être consulté sans que les assertions n'en soient soumises à un rigoureux contrôle.
2 M. van den Berg, que nous tenons à remercier ici de sa complaisance à notre égard, a réuni une immense collection d'empreintes de sceaux relatifs au pays de Liége. Cette collection, dont son propriétaire, rend l'accès très facile constitue pour l'histoire de sa province un ensemble du plus puissant intérêt.
3 Histoire numismatique de l'évêché et principauté de Liége. Brux., 1801, in 8°.
4 Catalogue des monnaies de la principauté et évêché de Liège (Revue belge de numismatique, 1862, p. 253).
5 Dans les Blätter fûr Münzkunde 1836, t.II, p. 369. Grote se rendit parfaitement compte de cet anachronisme, aussi ne donne t i1 pas le demi snaphaen qu'il publie à Jean de La Marck, comme évêque de Liège, mais comme seigneur de Lumain (1484-1529). Malheureusement la terre de Lumain est située dans le duché de Brabant et n'a jamais pu être le siège d'un atelier monétaire seigneurial.
6 De Renesse décrit à la p. 60 de son livre un soi disant demi snaphaen d'or de l'évêque Erard. Voici ce que M. C. Picqué disait dernièrement dans l'Atheneum belge 1883, p.180, de cette pièce imaginaire : Dans le thresoor of schat van alle de specien, imprimé à Anvers, par Guillaem Van Parys, au Pélican d'or, en 1580, nous trouvons à la page 29, parmi les pièces d'or, avec la désignation de gonden penninck te Lubeck gheslagen, la subdivision du snaphaen d'argent, appelé aussi brelingue de Liège. Le comte de Renesse Breidbach était allé l'y prendre pour le ranger parmi les espèces d'or de l'évêque Erard de La Marck (1505 1538). On se serait trompé à moins. Il est tout naturel de relever dans les recueils officiels anciens les pièces que le temps a fait disparaître. Ici l'on avait bien une monnaie d'or inconnue, et qui n'eut jamais eu à se transmuer en un métal moins noble, si la trouvaille de Kinroy n'avait fait surgir l'exemplaire que le cabinet de l'État s'est empressé d'acquérir .... Lubeck au lieu de Luick (Liége) n'est qu'une mauvaise lecture du compositeur.
7 Sur la signification des mots snaphaen, chenapan, voyez une communication de M. DE CHESTRET (Revue belge de Numismatique, 1882, p. 655.
8 C. A. SERRURE Histoire de la souveraineté de s' Heerenberg et description des monnaies des comtes souverains de cette maison. Paris, 1859-1860, ,-4°.
9 Voyez pour plus de détails une notice de M. DE SAULCY : Monnaies obsidionales de Jametz frappées en 1588 (Revue numismatique française, 1836, p. 273). C'est ce travail que nous résumons ici, afin de donner à nos lecteurs une revue d'ensemble de la numismatique de Jametz sous la maison de La Marck. Les obsidionales de Jametz sont reproduites par M. Buvignier dans son histoire et par M. MAILLIET : Atlas des monnaies